Grande première pour Sophie Binet. La secrétaire générale de la CGT a effectué son premier déplacement dans le Gers depuis son élection à la tête du syndicat en 2023. Première femme à diriger la CGT en près de 130 ans d’histoire, elle était l’invitée d’honneur du 51e congrès de l’Union départementale des syndicats CGT du Gers, qui s’est tenu les 16 et 17 octobre à la Maison du Temps Libre, à Preignan. Avant d’échanger avec les nombreux militants présents, la leader de la CGT nous a accordé quelques minutes pour évoquer les sujets d’actualité. Entretien :
Quels sont les messages que vous êtes venue porter aux militants gersois ?
« Je suis très contente d'être ici pour participer à ce très beau congrès. Mais aussi, pour pouvoir parler de la ruralité, des territoires qui sont aujourd’hui complètement délaissés. Les services publics plient bagage parce que les investissements ne sont pas là. Je suis venue en train depuis Agen, et j’ai constaté qu’il fallait s’arrêter là, puis faire 70 kilomètres en voiture. Pourtant, une ligne ferroviaire existe, et il serait tout à fait possible d’y faire circuler un TER. C’est une revendication majeure de notre syndicat : mettre fin au désenclavement du territoire, et permettre un axe Bordeaux-Toulouse en passant par Auch. En termes de services publics, l’accès à la santé est en recul : il vaut mieux ne pas tomber malade ou avoir une urgence ici, car selon le moment, il peut être très difficile de rejoindre les services d'urgence. Nous sommes très inquiets du projet de budget présenté cette semaine par le gouvernement. S’il est voté en l’état, il va accentuer ces tendances. Je suis donc venue aussi pour tirer la sonnette d’alarme sur l’état des territoires ruraux et sur les inégalités territoriales qui ne cessent d’augmenter. On marche sur la tête à vouloir tout concentrer sur quelques métropoles — ici, en l’occurrence, Toulouse —, où se concentrent tous les emplois et les investissements. Cela n’a aucun sens, ni d’un point de vue social, ni environnemental. On ressent vraiment un sentiment d’abandon très fort dans les territoires ruraux. Ce qui est très inquiétant, c’est que dans certains endroits, nous sommes, en quelque sorte, le dernier service public. »
Vous avez également tenu assister à ce congrès pour saluer l'engagement d'Eric Cantarutti, qui a décidé de passer la main après près de 10 ans à la tête de l'Union départementale de la CGT du Gers ...
Je tiens vraiment à saluer l'engagement d'Eric Cantarutti. Il a passé près de 10 ans à la tête de la CGT dans le département, et il a fait beaucoup de bien au syndicat localement. Je suis venu le remercier de l'énorme travail qu'il a réalisé comme secrétaire générale de l'union départementale."
Dans son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé une mesure forte avec la suspension de la réforme des retraites. Peut-on parler d’une victoire ?
« Ce que je retiens c'est que le rapport de force paie. C’est grâce à la mobilisation de millions de travailleuses et de travailleurs que le gouvernement — et Emmanuel Macron lui-même — a été obligé de bouger sur la question des retraites. Nous avons ouvert une brèche, avec le décalage de l’application de la réforme. Maintenant, nous entendons bien poursuivre la mobilisation pour élargir cette brèche et obtenir l’abrogation pure et simple de la réforme. »
Que pensez-vous des premières mesures du projet de budget pour 2026 ?
« Nous allons être très mobilisés dans le débat budgétaire qui s’ouvre. Car si nous avons marqué un premier point sur la réforme des retraites, le budget, lui, est catastrophique, avec des mesures d’austérité extrêmement violentes pour le monde du travail. Notamment en matière de santé : cela va peser lourd ici, dans le département, avec le doublement des franchises médicales. Deuxième mesure extrêmement violente : l’année blanche, qui est en réalité une année noire, avec la désindexation de toutes les prestations sociales. On tape sur tout le monde, mais avec un impact beaucoup plus fort sur les plus précaires. Pour eux, c’est un effet cocktail cumulé : c’est une centaine d’euros de perte chaque mois, alors qu’ils ont déjà du mal à boucler leurs fins de mois. Désormais, il faudra choisir entre remplir son frigo ou payer sa facture. Les retraités paient eux aussi un lourd tribut, avec une triple peine. Ce sont les premières victimes de l’explosion des frais de santé, car être retraité, c’est être plus âgé, donc avec plus de besoins médicaux. La désindexation des pensions va faire baisser leurs revenus. Et ce n’est pas seulement pour 2027, c’est une désindexation gravée dans le marbre jusqu’en 2030 au moins. Enfin, pour un certain nombre de retraités, les impôts vont augmenter, parfois de manière significative. On baisse donc leurs revenus, on augmente leurs dépenses : la pilule est très difficile à avaler. Dernier point : il concerne les agents de la fonction publique. Ce budget, c’est une véritable cure d’austérité pour les services publics. Près de 3 500 postes sont prévus à la suppression, d’abord dans l’Éducation nationale. Pourtant, on manque déjà de milliers d’enseignants pour remplacer les malades, et à la rentrée, des milliers d’élèves se sont retrouvés sans enseignant. Le budget de la santé et des hôpitaux est, lui aussi, complètement déconnecté des besoins. Pour les hôpitaux qui tirent déjà la sonnette d’alarme, ce budget est catastrophique. Il va se traduire par de nouvelles fermetures de lits. Et tout ça, pourquoi ? Parce qu’on refuse d’aller chercher l’argent là où il est : taxer les plus riches, taxer les multinationales. C’est ça qui est révoltant.Des propositions de financement, on en a mis sur la table. Tout le monde connaît maintenant la taxe Zucman : ce levier qui permettrait de taxer le patrimoine des 1 800 personnes détenant plus de 100 millions d’euros. Je pense que dans la situation actuelle, ces personnes-là peuvent avoir l’honneur de contribuer à la richesse nationale en étant taxé à hauteur de 2 %. Notre mot d’ordre reste le même : les sacrifices pour le monde du travail, ça suffit. Cela fait sept ans qu’on passe à la caisse, avec des réformes régressives sur le dos des travailleuses et des travailleurs. Ce n’est plus possible, surtout quand le déficit a été creusé par les baisses de recettes liées aux cadeaux faits aux plus riches et aux grandes entreprises. »
« La CGT se bat partout pour empêcher les licenciements. Le seul moyen de gagner, c’est de lutter. Si on ne lutte pas, on est sûr de perdre. C’est le message que je veux faire passer aux salariés. Grâce à la mobilisation de la CGT, nous avons réussi à sauver plusieurs entreprises ces derniers mois : la fonderie de Bretagne, dans le Morbihan, avec plus de 250 emplois préservés — c’est la sixième fois que nous sauvons cette usine. Valdunes, le dernier fabricant de roues et d’essieux de train : c’est la CGT qui l’a sauvé. La bataille pour l’emploi est centrale. La CGT sera toujours aux côtés des salariés pour leur permettre de lutter et de sauver leur emploi.
E.R